Après la décision de la CEDH du 4 avril 2024, le Bureau National d’AJIR pour les Harkis a décidé d’adresser une lettre ouverte au Président de la République pour attirer son attention sur l’inadéquation du quantum  de la réparation accordé par cette décision et celui de la loi du 23 février 2022. 

Le 19 avril 2024



à Monsieur Emmanuel MACRON
Président de la République


Monsieur le Président,


Le 20 septembre 2021, vous avez eu le courage de demander, au nom de la France, « pardon aux soldats abandonnés et à leurs familles ». Vous avez aussi reconnu, comme vos prédécesseurs, l’abandon après le 19 mars 1962 ainsi que les conditions indignes d’accueil infligées sur le sol métropolitain. Mais vous êtes allé plus loin : vous l’avez fait inscrire dans une loi. De cela, les harkis, leurs familles, leurs amis vous en sont reconnaissants.


Cependant, nous l’avions écrit, la loi votée en 2022 était incomplète voire injuste. Parce qu’il n’y a pas eu de commission d’évaluation des préjudices, préalable indispensable à une juste réparation. La loi applique à ceux ayant vécu dans les camps et hameaux de forestage le barème utilisé par le Conseil d’Etat pour les détenus se plaignant de purger leur peine dans des conditions indignes soit mille euros par an, sans distinction entre diverses situations (camps, hameaux isolés, cités urbaines, etc.). Elle n’a pas évalué les préjudices de ceux qui ont pu fuir les massacres par leurs propres moyens à la suite de l’abandon et de la limitation drastique des rapatriements, excluant injustement de toute réparation la moitié des familles de harkis.


AJIR et d’autres associations avaient proposé des amendements pour combler les manques du projet de loi gouvernemental. Mais ils furent systématiquement rejetés, sans arguments convaincants, par Madame Darrieussecq, Secrétaire d’Etat aux anciens combattants et à la mémoire et par Madame Mirallès, rapporteure de la loi, qui ne furent pas à la hauteur de l’enjeu. Conscients que la réparation parcimonieuse proposée par cette loi ne saurait clore dignement le dossier lancinant des Harkis, de nombreux députés ont affirmé que ce n’était qu’un pas supplémentaire vers la reconnaissance due aux harkis et qu’il faudrait poursuivre le travail engagé sous votre impulsion.


A cette fin, a été décidée la création d’une commission devant suivre et améliorer la loi par des propositions. Hélas ce n’était pas la commission d’évaluation des préjudices que nous avions demandée. Si elle a fait un travail utile pour ajouter des lieux de relégation absents du décret et signalés par AJIR et quelques associations, force est de constater que cette commission n’a pas fait preuve d’audace en termes de propositions. Nous lui avions pourtant remis, ainsi qu’à Madame Mirallès, un rapport de 70 pages avec des propositions argumentées. Elle s’est limitée à valider les indemnisations soumises par l’Onacvg qui, faute de moyens nous dit-on, traite les dossiers avec une lenteur exaspérante et des erreurs trop fréquentes. Les résultats de cette commission ne sont donc pas à la hauteur des attentes malgré son président empathique et très investi.


L’arrêt récent de la CEDH, à la suite de la plainte de la famille Tamazount, rappelle clairement que la réparation proposée par la loi de 2022 n’est pas adaptée aux préjudices subis. Il nous semble donc urgent de tenir compte de l’inadéquation de cette commission par rapport au problème fondamental à traiter : établir une grille hiérarchisée et argumentée des différents préjudices subis par les Harkis et leurs familles, passés ou non par des camps, puis proposer une juste réparation adaptée à chaque catégorie de préjudices reconnus. 


Certes, l’arrêt de la CEDH ne vise que les conditions indignes de vie dans le camp de Bias et ne concerne que les 4 plaignants. Certes, la Cour s’interdit d’imposer à l’Etat français, une réparation pour les séjours antérieurs à mai 1974, date de ratification de la convention par la France. Mais nous vous demandons, Monsieur le Président, d’appliquer cet arrêt non à la lettre mais dans son esprit et donc d’étendre à toutes les personnes visées par loi, voire à celles arrivées en France par leurs propres moyens, la réparation préconisée par la CEDH pour les « structures de toute nature » aux conditions de vie indignes. Il est aussi possible de décider un moratoire de 6 mois en attendant les recommandations d’une vraie commission d’évaluation des préjudices.


Par ailleurs, quelles que soient les sommes allouées, certains préjudices sont irréparables au sens d’ineffaçables. Et à avoir trop attendu, la grande majorité des anciens harkis sont hélas partis sans avoir entendu votre demande de pardon ni avoir bénéficié de la loi de 2022. Il reste à préserver leur mémoire et à faire connaître leur histoire. C’est le sens de la nécessité d’une fondation autonome, reconnue d’utilité publique car il n’existe à ce jour aucune fondation pour la mémoire des Harkis et des combattants de l’union française. Elle sera l’aboutissement d’une démarche, que vous avez entreprise avec courage, de reconnaissance et de réparation.

Nous serions très honorés de pouvoir échanger avec vous ou vos conseillers des suites possibles à donner à la loi de 2022 à la lumière de l’arrêt de la CEDH.

Nous vous prions d’accepter, Monsieur le Président, l’expression de notre considération respectueuse.

Pour le Bureau national d’AJIR,*
Mohand Hamoumou, Président.

Ali Amrane, Said Balah, Marie Gougache, Mohamed Haddouche