Combien étaient les Harkis et Musulmans
pro-français à la fin de la guerre d’Algérie ?
S’agissant des « Musulmans » ou « Français de Souche Nord Africaine » (FSNA) engagés aux côtés de la France ils sont évalués à environ 215000 en mars 1961, répartis comme suit:
Harkis | 63.000 |
SAS (Moghaznis): | 19.000 |
Groupe auto-défense : | 60.000 (dont 32 000 armés) |
Groupe Mobile de Sécurité : | 9.000 |
L’armée d’active et appelés : | 65.000 dont 300 officiers, |
3.500 sous-officiers et 15.000 engagés |
A ces 215000 hommes dont 155000 sous uniforme français, il faut ajouter les FSNA formant « l’élite francisée » qui regroupe une grande partie des fonctionnaires, élus, naturalisés, soit un contingent de près de 50.000 personnes.
Globalement plus de 260.000 hommes se sont rangés du côté de la France.
Le « parti de la France » favorable à une « ALGERIE NOUVELLE » cheminant, par l’égalité des droits, vers l’émancipation et l’autonomie aux côtés et non contre la France, représente avec les familles (Coef 5,5 en 1962) une population de près d’un million et demi de personnes soit 20% de la population musulmane.
Quelles étaient les motivations pour devenir Harkis ?
L’Algérie jusqu’en 1962 n’existait pas en tant qu’Etat, c’était trois départements français. Une partie des gens s’était francisée, une autre ne connaissait pas le FLN. Ce dernier s’est imposé comme unique interlocuteur par la terreur. La « chasse aux sorcières » contre les harkis, en plus de supprimer des opposants, a permis de faire diversion dans la lutte pour la conquête du pouvoir. C’était une guerre civile à bien des égards . Tant qu’on a pas compris ça, on ne peut pas comprendre qui sont les harkis. Les gens ne sont pas devenus harkis contre l’idée d’indépendance, mais pour protéger leurs familles et leurs villages. Beaucoup d’harkis étaient des ralliés du FLN: ils voulaient se diriger vers l’indépendance, mais rejetaient le terrorisme aveugle du FLN contre les civils hésitants ou opposants.
Le livre de Mohand Hamoumou « Et ils sont devenus Harkis », tiré de sa thèse de doctorat est consacré à cette question fondamentale et qui nécessite une réponse nuancée prenant en compte la complexité de la situation de l’Algérie coloniale.
Ceux qu’on regroupe aujourd’hui sous le vocable Harki sont en réalité issus d’une diversité de groupes. Leur point commun est d’avoir pour des raisons diverses refusé d’obéir au FLN et d’avoir servi (ou continué à servir) la France. Parmi ceux rangés aujourd’hui dans la « communauté de Harkis », on trouve :
Les harkis, supplétifs enrôlés avec un contrat civil temporaire (un cdd en quelque sorte) dans les unités militaires de l’armée françaises en Algérie.
D’autres supplétifs, comme les Moghaznis, qui assuraient la protection des SAS (sections administratives et sociales) créées dans la politique de pacification (gestion administrative, scolarisation, soins, etc). Il y avait aussi les GMS (Groupes mobiles de sécurité) et GMPR (groupes mobiles de protection rurale) chargés notamment de protéger les bâtiments administratifs ou les marchés.
Les militaires de carrière engagés dans l’armée françaises, souvent de père en fils depuis des générations avec des officiers et sous-officiers souvent passés par l’école des enfants de troupes (internat militaire à partir de 12 ans), comme Rabah Khellif et élevés au biberon tricolore, dans le culte du drapeau français qu’ils avaient déjà défendu en Indochine.(Cf le livre d’Aziz Méliani)
Les notables Musulmans, Caids, Aghas, Bachaghas qui pour la plupart ont continué à servir la France, d’autant qu’en 1954 le FLN n’était pas connu.
Les élus de souche nord-africaine qui n’ont pas suivi les ordres du FLN d’abandonner leurs mandats.
Des personnes naturalisées, se sentant pleinement françaises et voulant le rester. D’autant que l’Algérie jusqu’en 1962 n’existait pas en tant qu’Etat, c’était trois départements français.
On perçoit ainsi toute l’hétérogénéité de ce que l’histoire allait transformer ensuite en Métropole après 1962 en « Français Musulmans Rapatriés » et « communauté harkie ».
On comprend ainsi que les « choix » n’étaient pas dictés par les mêmes motivations.
Pour les supplétifs, majoritairement des paysans, les motifs ou circonstances qui les ont conduits à devenir Harkis ou Moghaznis sont les suivants :
Le refus du terrorisme aveugle du FLN, qui exigeait qu’on abatte un Européen ou « un traitre » pour être accepté au maquis et dont certains chefs locaux abusaient de leur pouvoir récent pour régler des comptes et se comporter avec brutalité envers la population. D’où le besoin de se défendre pour survivre. (Cf le journal de Mouloud Ferraoun,).
La solidarité familiale, clanique ou tribale, lorsqu’un membre de sa famille, clan ou tribu avait été tué par le FLN. Et le souhait de protéger sa famille.
L’enrôlement par l’armée, suite à des pressions sur les prisonniers FLN ou en mouillant certains villages par rapport au FLN. (Il y avait un service d’action psychologique dans l’armée). Il y eut aussi des engagements suscités par les qualités d’homme d’honneur de certains officiers de SAS (cf le livre de François Meyer « Pour l’Honneur des Harkis »).
Le besoin de travailler, notamment dans les SAS. (Cf le livre de Brahim Sadouni ) pour survivre. Les destructions de villages, les regroupements forcés (Cf les livres de Bourdieu/Sayad ou Cornaton) ont privé les familles du travail de leurs terres et ont accru la pauvreté.
Les 2 premiers motifs (violence arbitraire du FLN et solidarité familiale) expliquent la très grande majorité des engagements de supplétifs (plus de 80% des cas).
On comprend ainsi que la majorité des supplétifs n’étaient pas contre l’indépendance, souffrant eux même des inégalités et injustices du système colonial.
L’élite francisée (militaire, élus, notables, naturalisés) estimait quant à elle que l’Algérie pouvait, par l’égalité des droits, évoluer vers l’autonomie avec la France sans guerre. D’autant qu’à partir de 1958, selon le Général De Gaulle, « il n’y avait plus qu’une seule catégorie de Français de Dunkerque à Tamanrasset ». Si chacun avait le même droit de vote, les Français de souche nord-africaine (appelés aussi durant la période coloniale Indigènes ou Musulmans) étant 7 à 8 fois plus nombreux, l’autonomie et l’indépendance devenaient possibles sans guerre.