FIGAROVOX/CHRONIQUE – Lors de la commémoration des 60 ans du massacre d’Algériens à Paris, Emmanuel Macron a dénoncé des «crimes inexcusables pour la République». Pour l’avocat, cette reconnaissance doit être suivie d’un aveu réciproque de l’Algérie quant aux crimes commis par le FLN.

Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Chaque semaine, il décrypte l’actualité pour FigaroVox.

Ainsi, le président de la République a-t-il cru devoir considérer la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris comme des «crimes inexcusables pour la République». Décidément, les postures d’Emmanuel Macron donnent le tournis à l’observateur qui s’essaie à la recherche d’une cohérence morale et politique.

Le candidat Macron, en terre algérienne avait commencé par une funeste déclaration sur une constatation consubstantielle de crimes contre l’humanité que l’on ne pouvait qu’associer au procès des nazis à Nuremberg et qui lui valut une plainte de la principale association de pieds-noirs, suspendue par la grâce de son immunité.

L’équilibrisme politique – ou électoral – donne parfois le vertige à qui cherche le juste équilibre.

Gilles-William Goldnadel

À son retour à Alger, ès qualité de chef de l’État, il morigéna sévèrement des jeunes manifestants qui lui rappelaient les exactions françaises en les exhortant à regarder l’avenir plutôt qu’à ressasser un passé qu’ils n’avaient pas connu. Dans un avion qui le ramenait d’Israël, il confia à quelques journalistes, que le drame algérien devait être regardé historiquement comme on avait observé le drame de la Shoah. Rien de moins.

Plus tard, il crut devoir confier à Benjamin Stora, historien estimable mâtiné de militant engagé, la rédaction d’un rapport circonstancié dont la première qualité n’est pas l’objectivité équilibrée. Celui-ci recommanda notamment de s’incliner devant les victimes algériennes du 17 octobre mais négligea la même recommandation concernant notamment les massacres par des sympathisants du FLN de milliers de chrétiens, de juifs et de musulmans à Oran du 5 au 7 juillet 1962 alors même que le nouvel État avait accédé à l’indépendance. Ce drame a d’autant plus marqué la mémoire pied-noir, que l’armée française était restée l’arme au pied et que les familles n’ont jamais reçues d’informations sur le sort de leurs chers disparus.

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N’ayons garde d’oublier la visite présidentielle à la famille de Maurice Audin, militant communiste mort probablement sous la torture, mais compagnon d’un FLN qui assassinait des militaires français et aussi des civils. Dans la dernière période, et sur fond d’aigre dispute avec le gouvernement rien moins démocratique d’Alger à propos de visas, le président a été jusqu’à déplorer l’exploitation politique abusive d’une «rente mémorielle» utilisée comme diversion pour faire oublier les échecs d’un jeune état aux fondements incertains. Autant dire que ceux qui veulent trouver leur pitance de repentance, comme ceux qui souhaitent s’affranchir d’une mauvaise conscience unilatérale peuvent faire leur marché au magasin macronien.

Jamais peut-être le fameux «en même temps» n’aura fonctionné aussi massivement. L’équilibrisme politique – ou électoral – donne parfois le vertige à qui cherche le juste équilibre. Il n’est pas douteux que la manière inhumaine avec laquelle ont été traités les manifestants du 17 octobre est un crime inexcusable. Mais fallait-il il pour autant que la France s’excuse de manière unilatérale ? Mettant ainsi au pot de la rente mémorielle.

Reconnaître les exactions françaises sans exiger simultanément les excuses algériennes pour les crimes du FLN contre les Français et les harkis, n’est pas la justice mais la prolongation de la rancœur sans fin.

Gilles-William Goldnadel

Grâce soit rendue à Guillaume Perrault, qui dans Le Figaro du 15 octobre a su contextualiser avec rigueur cette manifestation réprimée dans le sang. Rappeler le couvre-feu ordonné en raison de la situation insurrectionnelle. Rappeler les attentats du FLN qui poussait son avantage et ceux de l’OAS qui traduisaient sa rage. Rappeler l’impôt forcé révolutionnaire sur les Algériens de France et les milliers de morts de leurs luttes intestines sur le sol français. On est donc à des centaines de lieux d’un massacre spontané. Et quitte à pousser l’introspection sans fard jusqu’au bout, pourquoi dans ce cas, poser le chapeau uniquement sur la tête du préfet Papon, qui a la taille de l’emploi au regard de sa funeste réputation et oublier le képi du général de Gaulle qui n’eut aucun regret ?

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Pourquoi oublier le silence des organisations syndicales policières, qui à l’époque étaient toutes situées à gauche ?

Mais l’essentiel est ailleurs. Reconnaître les exactions françaises sans exiger simultanément les excuses algériennes pour les crimes du FLN contre les Français et les harkis, n’est pas la justice mais la prolongation de la rancœur sans fin.

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Reconnaître les unes sans les autres, n’est pas qu’une question de principe. C’est instiller dans la tête d’une partie de la jeunesse d’origine algérienne vivant en France l’idée monstrueusement fausse que les Français seraient un peuple de tortionnaires qui devraient naturellement expier leurs fautes à l’égard de leurs parents. Inutile de dire que les relations qui d’ores et déjà existent entre communautés n’avaient pas besoin de ce surcroît de munitions explosives.

Si l’on veut, en regardant de surplomb, tenter de comprendre le comportement erratique aussi bien présidentiel que médiatique, on doit interroger le moment psychologique. La pathologie occidentale de la faute de l’homme blanc. De lui seul uniquement. La base de la relation humaine est la réciprocité. Elle est inhérente à l’instinct naturel de justice. Mettons donc fin aux expédients qui président à la vertigineuse simultanéité et exigeons donc la juste et nécessaire réciprocité.