France: la douloureuse mémoire des enfants morts dans les camps de Harkis sort de l’oubli

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En 1962 de nombreux enfants de Harkis sont morts dans les camps d’accueil. Ci-dessous un article de l’AFP Perpignan, publié par le Courrier Cauchois en septembre 2020, qui reprend l’histoire de ces enfants morts et enterrés comme des anonymes sans que les parents en soient informés… 

L’article évoque aussi l’abandon des Harkis en Algérie.

L’employée du cimetière s’arrête devant deux fragiles monticules de terre à l’abandon. « C’est ici », souffle-t-elle. « Mille fois pardon ! » Abessia s’écroule en sanglots, posant doucement sa main sur la tombe de fortune de l’un de ses petits frères, dans le sud de la France.

Ce 7 août 2020 caniculaire, 57 ans après la mort de ses frères jumeaux Yahia et Abbas peu après leur naissance dans un camp de Harkis en France, Abessia Dargaid vient à 68 ans de retrouver le lieu de leur inhumation : « tombes 6 et 8, rangées 22 et 25, carré musulman du cimetière de l’Ouest, Perpignan ».

Avant de lancer ses recherches, il aura fallu à Abessia attendre le long et acharné travail de mémoire d’associations d’anciens Harkis – ces Français musulmans recrutés comme auxiliaires de l’armée française pendant la guerre d’Algérie -, d’historiens, de familles, intensifié récemment et accompagné par le gouvernement français, pour sauver de l’oubli ce pan tragique de l’histoire franco-algérienne.

Après la fuite et l’exil d’Algérie, sa mère avait accouché des jumeaux en décembre 1962, dans des conditions plus que précaires, à l’infirmerie du camp de Harkis de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), à 12 km de ce cimetière. Les nourrissons, malades et transportés à l’hôpital, décèderont quelques mois plus tard. Mais leurs corps ne seront pas rendus à la famille. « Mon père a juste pu voir la main de Abbas à son décès à l’hôpital; mes parents n’ont jamais rien su des circonstances et des lieux de leur inhumation », témoigne Abessia.

Yahia, Abbas mais aussi Fatma, Omar, Djamal, Malika Il y a près de 60 ans, des dizaines de nouveau-nés ou très jeunes enfants morts lors de leur passage dans les camps de Harkis gérés par l’armée en France ont été enterrés sans sépulture décente par leurs proches ou par des militaires, dans les camps ou à proximité, dans des champs, et pour la grande majorité, sans plaque avec leur nom, selon les récits d’historiens et les témoignages de familles recueillis lors d’une enquête de plusieurs mois de l’AFP. D’autres, décédés à l’hôpital, ont été enterrés par les autorités dans des cimetières, mais souvent sans que les familles ne soient présentes ou informées du devenir des corps de leurs enfants, selon ces témoignages.

Bouleversés et choqués par le dénuement des sépultures de leurs frères, Abessia, sa soeur Rahma, 70 ans, et leur frère Abdelkader, 65 ans, se recueillent au cimetière de Perpignan, au son d’une prière aux défunts en arabe diffusée par un portable. Abdelkader est secoué de hoquets de larmes. « Je comprends pas il n’y a même pas un prénom sur leurs tombes ? » interroge-t-il, confus. « Pour la première fois, on met un lieu » sur ce drame familial, confie Abessia. « Ca fait +boum boum+ dans le coeur. Mais ça ne devrait pas être permis d’enterrer quelqu’un comme ça et puis de l’abandonner, sans plaque » – Surmortalité infantile – « Les Harkis », ce sont ces anciens combattants – jusqu’à 200.000 hommes – recrutés comme auxiliaires de l’armée française pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) qui opposa des nationalistes algériens à la France.

Depuis 2001, la France leur rend chaque 25 septembre un hommage national en reconnaissance des « sacrifices consentis ». A l’issue de cette guerre, marquée par des atrocités, par la torture et qui a traumatisé les sociétés algérienne et française, les Harkis – souvent issus d’un milieu paysan et modeste – sont abandonnés par la France et nombre d’entre eux sont victimes de massacres de représailles en Algérie.

Abessia raconte ainsi comment sa famille a été victime de plusieurs attaques du Front de libération nationale (FLN) du fait de l’engagement de son frère et de son père dans l’armée française. Sa soeur montre les cicatrices d’une blessure par grenade.

Mais au lendemain des accords d’Evian de 1962 consacrant la défaite française en Algérie, le gouvernement français a rejeté le rapatriement massif de ces Harkis. Environ 42.000 – accompagnés parfois de leurs femmes et enfants – sont transférés en France par l’armée et transitent par des camps. Quelque 40.000 autres viennent par des filières semi-clandestines ou clandestines. Au total, entre 80.000 et 90.000 personnes arrivent en France, pour la majorité entre 1962 et 1965.

En France, les Harkis et leurs familles ne sont pas considérés d’emblée par les pouvoirs publics comme des rapatriés mais comme des réfugiés. Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont parquées dans des « camps de transit et de reclassement » gérés par l’armée, aux conditions de vie souvent déplorables et traumatisantes, certains entourés de barbelés et placés sous surveillance. Et les faits, méconnus, sont là: parmi les personnes décédées dans ces camps, une grande majorité étaient des bébés morts-nés ou des nourrissons, selon les statistiques consultées par l’AFP et établies par l’historien Abderahmen Moumen, l’un des spécialistes français de la guerre d’Algérie qui travaille sur l’identification des sites d’inhumation. Depuis 2015, il est mandaté par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG, public).

Perpignan (AFP). Article Publié par le Courrier Cauchois.