A la demande d’AJIR, Boris Cyrulnik, s’est focalisé sur la transmission des traumatismes. Il a présenté la difficulté de témoigner en insistant sur le fait « qu’on ne peut pas ne pas transmettre » : dire son traumatisme à ses proches c’est leur transmettre l’horreur vécue ; se réfugier dans le silence, c’est leur transmettre l’angoisse. 


Ce qui nécessite l’intervention d’un tiers pour rendre l’information plus supportable pour les proches que cela soit par des lieux de paroles (commissions, fondations, … ) ou soit par des artistes (films, théâtre, romans,…) des philosophes, des politiques engagés, etc.


Boris Cyrulnik insiste sur l’effet thérapeutique de l’écriture qui permet de mettre une dis-tance entre soi et le trauma. D’autant plus, que se taire, c’est se faire complice de son agresseur tout en transmettant à son entourage ses propres névroses. Il souligne l’importance du langage adopté. Parler de « blessé » est moins stigmatisant qu’employer le terme de « victime». 


Ce travail de mémoire, par le témoignage du trauma, permet de construire un récit narratif, de comprendre ce qui a été subi. Alors la libération de la soumission à cette blessure du passé et la résilience peuvent advenir. « Le récit n’est pas un retour au passé, c’est une ré-conciliation » car la résilience ne peut pas être réduite à une histoire de réussite comme on le fait trop souvent, « c’est l’histoire de la bagarre d’un enfant poussé vers la mort qui in-vente une stratégie de retour à la vie. »


Cette intervention riche, pédagogique et pleine d’humanité a été très apprécié par un pu-blic captivé et qui ne pouvait pas ne pas faire de lien avec le vécu des Harkis   et de leurs enfants. Son exposé comme ses livres résonnent parfois douloureusement mais sont por-teur d’espoir : rester blessé-e n’est pas une fatalité à condition de ne va vouloir se com-plaire dans une posture de victime et de rencontrer des personnes sécurisantes à même de servir de « tuteurs de résilience. »


« L’effet des traumatismes diffère selon les réactions familiales, les institutions et les mythes (…) plus la réaction sociale est désorganisée, plus les troubles seront importants. Quand l’entourage est détruit ou quand le mythe culturel pousse à se désolidariser des blessés, l’abandon empêche le travail de résilience. La négligence affective d’une famille altérée, la négligence institutionnelle qui ne prévoit pas d’aide médicale, psychologique ou financière, la négligence culturelle une société qui largue ses éclopés parce qu’ils n’ont plus de valeur, toutes ces mises à distance paralysent la reprise d’une trajectoire résiliente et enferment une partie de la population dans une sorte de camp de réfugiés psychiques qui ne pourront plus participer à l’aventure sociale. »  

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1 Les enfants de Harkis ont ainsi pour beaucoup souffert du silence des pères, (prisonniers du piège historique décrit par Dominique Schnapper et d’une pudeur culturelle) 
2 Boris Cyrulnik a accepté de présider le conseil scientifique d’un projet initié par Kamel Sadji et soutenu par la Région PACA sur la mémoire et le vécu des Harkis et d’autres « exilés ». Benjamin Stora et Mohand Ha-moumou font également partie du conseil scientifique.
3  Extrait de Boris Cyrulnik, Autobiographie d’un épouvantail, Ed Odile Jacob, 2008, page 50

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Boris Cyrulnik, médecin neuropsychiatre est aussi psychanalyste. Il a notamment diffusé le concept de « résilience » (renaître de sa souffrance). Président du prix Annie-et-Charles-Corrin sur la mémoire de la Shoah (depuis 2005). Il est l’auteur d’une vingtaine de livres (vendus à plus de 2 millions d’exemplaires et traduits en plusieurs langues) dont :


•    Les Vilains Petits Canards, Paris, Odile Jacob, 2001
•    Mourir de dire : La honte, Paris, Odile Jacob, 2010
•    Les Âmes blessées, Paris, Odile Jacob, 2014
•    Résilience : facteurs de protection et de vulnérabilité, Montréal, 2022
•    avec Boualem Sansal, L’Impossible Paix en Méditerranée, éd de l’Aube, 2017