Les paroles s’envolent, les écrits restent. Nous avons retrouvé un article de 2018 dans lequel, l’actuel président d’AJIR, indiquait déjà « les gestes forts » qu’un président de la République devrait accomplir à l’égard des Harkis… notamment demander pardon et faire voter une loi!


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Mohand Hamoumou, professeur à Grenoble à Ecole de Management, psychologue clinicien, docteur en sociologie revient sur la longue et chaotique histoire de la reconnaissance des Harkis par la République.

Publié le 09 octobre 2018 

« Le président de la République souhaite accomplir au nom de la France un geste fort de reconnaissance « , a annoncé la secrétaire d’État aux Armées le 25 septembre. L’intention est courageuse mais périlleuse car depuis 60 ans les Harkis ont souvent été déçus. Longtemps, l’histoire des harkis a été refoulée par l’Etat algérien et l’Etat français en raison des massacres d’après le « cessez-le-feu : l’un pour les avoir commis, l’autre pour les avoir permis. Les harkis aussi se sont tus, occupés par leur difficile réimplantation et prisonniers d’une histoire déformée. Il a fallu attendre 2001 pour qu’un président de la République, Jacques Chirac, reconnaisse que « la France n’a pas su sauver » ses enfants de « la barbarie ». Il aurait été plus juste de dire « n’a pas voulu »

Depuis, chaque président a apporté sa pierre au travail de vérité, souvent à la veille d’élections. Ainsi le 14 avril 2012, Nicolas Sarkozy lors d’un discours de fin de campagne affirma que les télégrammes du 12 mai 1962 de Pierre Messmer et Louis Joxe marquaient « sans aucune contestation possible la responsabilité du gouvernement français dans l’abandon d’une partie des harkis ». Le 25 septembre 2016, à quelques mois de la fin de son mandat, le président Hollande, fut plus explicite « Je reconnais les responsabilités des gouvernements français dans l’abandon des Harkis, des massacres de ceux restés en Algérie, et des conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France. »  Récemment, le Conseil d’Etat a condamné l’Etat à verser à un enfant de harki 15 000 euros pour l’avoir fait vivre 13 ans dans un camp coupé du monde. Cette décision est importante par sa portée symbolique : la justice reconnaît le préjudice que constitue la perte de chance des enfants relégués dans des structures isolées. 

Une demande de pardon de l’Etat français 

Alors que pourrait encore dire ou faire un président pour répondre à la soif de vérité et de justice des Harkis et de tous les autres Français impatients que leur pays efface la honte d’un abandon et d’un accueil indigne ?D’abord demander pardon au nom de l’Etatfrançaispour les fautes des gouvernants des années 60. Pour avoir nié la citoyenneté française de ces hommes, pourtant nés dans des départements français « entre Dunkerque et Tamanrasset », et auxquels l’Etat imposa à leur arrivée l’humiliante demande de nationalité française devant un tribunal. Pour les avoir exclus des Accords d’Evian et feint de croire qu’ils ne risquaient rien à rester sur le sol algérien après une guerre fratricide effroyable. Pour avoir interdit à l’armée française de protéger et rapatrier des harkis menacés après un cessez-le-feu qui ne cessa que d’un côté. Pour les avoir enfermés longtemps dans des hameaux forestiers, des cités-ghettos ou des camps entravant réussite scolaire et professionnelle. 

Ensuite reconnaître cette responsabilité par une loi, geste fort par son aspect symbolique et son impact médiatique. Cette loi devrait insister sur la citoyenneté française de cette population, sa loyauté, le lourd tribut payé et sur la reconnaissance sans équivoque de la responsabilité de l’Etat français dans l’abandon des harkis, la non-assistance à personnes en danger, un accueil des rescapés indigne. Ce n’est pas un exercice masochiste de repentance mais un travail cathartique de vérité.

Enfin traduire cette volonté de vérité et de justice par des actes. Ainsi, une autre date que le 19 mars s’impose pour honorer les victimes civiles et militaires de la guerre en Algérie. Pourquoi ne pas remplacer le 19 mars et le 5 décembre par le 8 juin, en référence au 8 juin 1999 où l’Assemblée nationale vota à l’unanimité la reconnaissance de l’état de guerre en Algérie ? Continuer à faire du 19 mars une commémoration officielle de la « fin de la guerre d’Algérie », c’est assassiner une seconde fois les dizaines de milliers de harkis et Pieds Noirs tués ou disparus après le 19 mars alors que l’armée française était encore présente. 

Bachaga Boualem ou le capitaine Rabah Khellif au Panthéon ? 

Un autre geste symbolique pourrait être d’accueillir au Panthéon une figure emblématique de cette communauté de destin, comme le Bachaga Boualem ou le capitaine Rabah Khellif. Des nominations au service de la République d’enfants de harkis à la compétence démontrée contribueraient aussi à acter la reconnaissance. Il ne s’agit pas là de discrimination positive mal comprise mais de rendre plus visibles, afin qu’elles servent d’exemples, les personnes qui ont déjà fait la preuve de leurs qualités malgré le handicap du patronyme ou une scolarisation tardive. 


Mettre en place une représentation élue, et donc légitime, de cette population, à l’instar du CRIF, serait utile, quoique difficile, pour avoir des interlocuteurs crédibles. Parce que la reconnaissance nécessite d’abord la connaissance, des moyens sont nécessaires pour produire tous supports aidant à faire connaître l’histoire des Harkis. 

Enfin le président devrait s’engager à réparer ce qui peut l’être encore. D’une part en créant une commission d’évaluation des préjudices, préalable à toute réparation. Bien sûr, aucune réparation ne rendra vie à ceux tués après le 19 mars 1962 ni aux nourrissons morts de froid ou de manque d’hygiène dans les camps de tentes (près de 130 à Rivesaltes). 


Aucune réparation financière ne remplacera des années d’enfermement dans des structures aliénantes ni n’effacera leurs stigmates. L’enjeu, qu’on ne s’y trompe pas, n’est pas financier. D’ailleurs, la récente décision du Conseil d’Etat (2018) donne le ton : 15 000 euros pour 13 ans d’exclusion et de potentiel étouffé. L’enjeu est d’avoir une commission d’éminents juristes, d’anciens ministres, d’universitaires reconnus, afin de cerner – et ainsi de reconnaître objectivement- la réalité des préjudices subis. D’autre part en mettant en œuvre de mesures fortes de solidarité pour les plus démunis afin de leur garantir une retraite décente. 


Entre volonté de vérité et difficulté à réparer, entre gestes symboliques et mesures concrètes, la déclaration présidentielle sera un exercice délicat. Mais le président Macron, parce qu’il fait souvent preuve d’audace, génère un nouvel espoir chez les harkis. Et chez tous ceux convaincus, selon les propos de Friedrich Nietzsche que « les vérités que l’on tait deviennent vénéneuses »

Maire de Volvic (Puy-de-Dôme) de mars 2008 à juillet 2020, Président de communauté de communes et Vice-Président de communauté d'agglomération; professeur de GRH et de droit du travail en écoles de gestion (Grenoble Ecole de Management, MIP/EDHEC, EM Lyon). Diplômé de l’ESSEC Paris (Promo 88), docteur en sociologie (EHESS, auteur d’une thèse sur les harkis); Responsable de formation des cadres puis DRH dans le secteur privé industriel (Michelin, Lafarge). Officier de la Légion d’Honneur et a été membre de plusieurs conseils scientifiques (Haut Conseil à l'Intégration, Institut d'Audit Social, Musée de l'Histoire de l'Immigration, Mémorial de Rivesaltes,...).